Suite à mon abandon en 2016, très déçu et affecté par cet échec, je l’avais annoncé : Je reviendrai ! Et c’est cette année 2019, suite à 2 tirages au sort défavorables en 2017 et 2018 que l’occasion de se frotter au mythe se présente à nouveau.
Il est 16h30 lorsque je rejoins la team des amis et de la famille dans le SAS de départ. Ludo et Patou sont déjà là, concentrés, prêts à en découdre. Pour ma part je suis confiant, bien que très conscient des aléas et des impondérables d’une telle aventure. Les semaines et les jours qui ont précédés ont été conformes aux espérances, et j’arrive bien préparé, bien reposé, et déterminé comme jamais.
A l’approche du départ, les minutes défilent lentement. A travers les visages qui se crispent et les yeux qui parfois rougissent laissant couler de chaudes larmes, on sent la pression monter lentement. Le clapping qui précède Vangelis est juste fou. La ville tremble et retient son souffle. Dans ma bulle, les yeux rivés sur ce Mont Blanc qui nous fait face, j’essaie de faire un peu abstraction de tout cela pour ne pas perdre de jus, concentré sur l’objectif. Cette année, les frissons de l’arrivée m’obsèdent davantage que ceux du départ.
18h00 ! C’est la libération pour les 2500 traileurs qui patientent depuis des mois, des jours, des heures.
La première partie de course est “bizarre”. Je subis tout en avançant pourtant assez vite. Je n’ai pas de mauvaises sensations, mais pas de bonnes non plus. Bref, je ne me sens pas dans un grand jour. Pourtant en arrivant à Saint Gervais, au vu de l’avancée de la nuit et rapport à mes souvenirs : je me sais en avance par rapport à 2016. Aux Contamines, km 32, je suis déjà bien entamé et l’assistance de Carine me fait un bien fou. Si fou que j’en repars sans le téléphone qu’elle a mis à charger. Un éclair de lucidité pour m’en rendre compte, et je fais demi tour. OK je la vois. Un bon coup de stress, d’autant que le téléphone fera partie du matériel obligatoire contrôlé un peu plus tard aux Chapieux !
Malgré le boost moral de Carine, j’entame un long chemin de croix (du Bonhomme !!! ). Les jambes et la tête sont lourdes. Au passage de Balme, rien du ravito ne me fait envie. Assis sur le sol, je vois Ludo qui me glisse un de ces précieux conseils et un petit mot pour le moral. Je repars tout doux vers le col, un verre de thé chaud à la main. Col du Bonhomme, refuge de la Croix du Bonhomme. Pas mieux. Pire même ! Dans la descente, je suis pris de violentes crampes dans les mollets. C’est donc dans un état peu avouable que j'atteins Les Chapieux et il reste 130km…
Lors d’un ultra, ce sont ces moments là qu’il faut “gérer”. Je sais qu’il faut en passer par là et je me dis intérieurement que “ça va revenir”, ou plutôt “ça va venir”. Je suis toujours très large quant aux horaires, je décide donc de faire un gros break pour tenter de récupérer et de m’alimenter un peu. Au bout de 30 bonnes minutes passées entre crampes, étirements et somnolence, je peux enfin avaler un peu de potage et un morceau de pain… le minimum vital pour affronter les 1000m de dénivelé qui s’annoncent jusqu’au col de La Seigne, dont je reprend le chemin moyennement confiant après 45 minutes d’arrêt.
Si les premiers km sont un peu mieux, les derniers à l’approche du col sont cauchemardesques. Le vent de face est glacial et je lutte chaque seconde contre la seule envie que j’ai : à savoir dormir sur le bord du chemin… C’est d’ailleurs ce que je vais finir par faire, de l’autre côté du col, sur la terrasse d’un refuge. Et là tout bascule…
...Au bout de quelques secondes, un monsieur sort du refuge et me propose d’entrer faire cette pause au chaud. C’est le tournant de mon UTMB ! 15 minutes plus tard, après avoir vaguement fermé les yeux et emmagasiné un peu de chaleur, je repars ragaillardi.
Il est 6 heure. 12 heures de course. Le jour se lève lentement et le soleil réchauffe un peu l’atmosphère offrant des paysages époustouflants sur les sommets environnants. Tout cela contribue à me redonner un peu d’allant d’autant que l’ascension des si redoutées Pyramides Calcaires est avalée rapidement. Dans la descente vers le Lac Combal, je sent que le vent tourne du bon côté parce que pour la première fois : j’ai faim. Au ravito, tout y passe : Soupe, potage, pâtes, fromage, jambon, etc. Pour autant je ne m’attarde pas trop pour profiter de ce regain de forme. Plutôt à l’aise en haut des arêtes du Mont Favre, je me souviens du piteux état dans le lequel j’étais ici 3 ans auparavant et de ma longue déambulation dans la descente, ce qui finit de me rendre positif, d’autant que la famille et les amis ne sont plus très loin.
Courmayeur : C’est Jimmy que je vois le premier venu à ma rencontre. C’est bon. Réconfort, encouragements, massages, ravitaillement… Que tout cela fait du bien avant de repartir pour les 2 gros morceaux que sont Bertone et le grand col Ferret. On a coutume de dire qu’à Courmayeur commence une autre course : la mienne a commencé un peu avant.
Bertone. Je remplis les flasques. Bonatti. Je gère. Arnuvaz. Un petit bain de pieds. Grand col Ferret. Dur mais ça va. La Peule. Le tonnerre gronde. La Fouly. L’orage éclate tout juste 1 km avant que j’arrive au ravitaillement si bien que je me mets à l’abris à peine mouillé de quelques gouttes. Heureusement car la violence de l’orage est impressionnante. Le timing est parfait. Je repars presque au sec 25 minutes plus tard. Et l’euphorie continue. Pourtant, je ne peux m’empêcher de penser au moment ou elle va subitement s’évanouir dans la montagne. Mais rien de tel ! et mon chemin va bon train.
Au passage de Praz de Fort, je prends un bon coup derrière la tête lorsque Ghislaine m’annonce que Ludo est derrière, pas en forme. “Il va gérer”, j’en suis sur. Et quoi qu’il advienne, pour lui et toutes celles et ceux qui me suivent de près ou de loin, je dois me recentrer sur ma course., d’autant que je sais qu’au point suivant : Carine m’attend. Ce que je ne sais pas, c’est que Jimmy et Sylvie sont encore avec elle ! Trop bien. La 2eme nuit, souvent fatale, est tombée depuis une petite heure, et cette assistance passée avec eux trois est un nouveau coup de boost incroyable. Il ne reste “plus que 45 km”: je repars toujours aussi “frais” (en témoigne la vidéo d’arrivée à Champex), convaincu plus que jamais que rien ne m’arrêtera plus.
Rien ne s’oppose plus à mon arrivée à Chamonix, pas même la montée vers Bovine, bien que très dure. Trient, nouvelle surprise au coeur de la nuit (il est quand même 2h du matin !!) : Françoise et Patou sont venus me soutenir. Au risque de me répéter, que ça fait du bien de voir la famille, les amis. Ils sont des artisans à part entière de cette aventure quelle qu’en soit l’issue. Bien qu’encore en forme (tout est relatif), je décide m’octroyer 25 minutes de sieste pour profiter pleinement de la fin course. C’est reposé que je repars naturellement comme une fusée, là encore tout est relatif, vers Vallorcine. J’avale les 700 mètres de dénivelé des Tseppes en à peine plus d’une heure, et bien que la descente commence à sérieusement faire siffler les quadriceps, je suis encore bien quand je devine la silhouette de maman à Vallorcine, à 5h45 du matin !!!
Les quelques instants passés avec mes parents à Vallorcine et au col des Montets sont un ultime coup de booster pour les derniers km. Malgré quelques visions (“mais qui a barré le chemin ?”), je me sens toujours aussi bien. Oui j’insiste, mais c’est si inattendu !
Dans la montée vers la Tête aux Vents, je commence à envisager l’arrivée, à imaginer. Déjà l’émotion et les frissons s’emparent de moi. Je me contiens et me re concentre. Ce serait tellement bête de se faire une cheville maintenant, surtout que le sentier qui mène jusqu’à La Flégère est sacrément technique ! Une dernière compote à La Flégère ou je fais un passage éclair, et puis c’est la descente. Emporté par mon enthousiasme, je la démarre tambours battants, à fond ! … et puis je ralentis. A quoi bon gagner 5 minutes. Je décide d’en profiter. De savourer. Difficile à ce moment là de faire le tri dans mes émotions : fierté, peur du vide, frissons, les longs mois d'entraînements tourné vers l’objectif, ma petite femme, Jimmy, mes parents et tous les amis qui attendent impatiemment à quelques km, les doutes du début de course, l’arrivée dans Chamonix, etc. Durant ces longues et pourtant trop courtes minutes de bonheur intense : c’est un joyeux bordel dans la tête.
Et puis on arrive. Oui “ON”. Car je ne suis pas seul ! 2500 coureurs, les milliers de spectateurs qui nous ont encouragés pendant 3 jours, les bénévoles, les Chamoniards, les amis, la famille… C’est inimaginable ce qu’est une arrivée le l’UTMB dans Chamonix : des centaines d’anonymes vivent une arrivée triomphale portés par une foule nombreuse et enthousiaste.
Ce dernier km est juste magique, accompagné par mon papa, celui par qui tout a commencé quand il m'emmenait gamin sur les courses de VTT. A quelques hectomètres de l’arche, il y a toute la dream team qui a contribué à faire de cette course une réussite. Carine, ma maman et Françoise qui filment. Jimmy tout en retenue mais fier, j’en suis sur. Ludo portant Lyana qui savoure “enfin” l’arrivée de son poulain. Lysou et Patou émus aux larmes comme je l’ai été pour eux. Sylvie en live au col de Ceignes. Nelly derrière son écran… et un nombre incroyable d’amis qui ont suivi cela de près ou de loin…
L’arche.
Dernière décharge d’adrénaline.
Et puis tout s’arrête.
Il faut réaliser, savourer, profiter.
Les photos, vidéos, messages et témoignages vus et reçus dans les heures et les jours qui suivent font prendre conscience de l’ampleur cet événement hors du temps. Toutes ces images et ces moments partagés durant une semaine resteront gravés.
J’avais un rêve. Un pote l’a rendu accessible. Grâce à vous tous, la réalisation de ce rêve est allée bien au delà de ce que j’imaginais.
Merci.
Didier, dossard 1469, 40 heures 24 minutes 2 secondes.